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Faire la roue dans le pont de l’autoroute

Annabel Seynave-

“Savoir qu’on n’ecrit jamais pour l’autre, savoir que ces choses que j’ai ecrites ne me feront jamais aimer de qui j’aime, savoir que l’ecriture ne compense pas grand chose, ne sublime pas grand chose, qu’elle reste [+]

« Moi, votre jour, je ferai la roue sur le pont de l’autoroute ! », disait i  chaque fois Ava. Elle parlait du pont qui enjambe l’autoroute de Wallonie. Notre pont ou depuis tout gosse, nous allions faire signe a toutes les automobilistes et trainer le dimanche apres-midi, quand moyen etait trop incertain pour que des parents aient besoin de prendre la voiture et de nous emmener marcher en foret. Les adultes prolongeaient indefiniment le diner dans la fumee des cigarettes, la television, et l’odeur acre du cafe refroidi, ainsi, nous site de rencontre no strings attached gratuit, sommes d’aller jouer dehors, nous sortions dans la penombre endemique, dans l’humidite poisseuse, laborieuse, qui colle a votre pays comme la boue des anciens charbonnages. Cela y avait une urgence a jouer, 1 imperatif a vivre, le soir tombe si vite ici, depuis si peu de clarte au travers des draperies de bruine, si peu de changement au seuil des journees sales. C’est 1 pays larve de drames, ou Notre violence sourd de l’ennui, d’un ideal de lumiere et de mer du Nord, proche et inaccessible, une brillance a portee de reve.

Neanmoins, si tri?s que l’on crie, si loin que l’on aille, si violemment que l’on y croie, on ne ramene pas qu’un minimum d’eau de pluie dans mon tour que l’on essuie rageusement concernant son jean

A l’epoque, le pont de l’autoroute est une vieille route defoncee, une voie de nulle part envahie avec des herbes folles, les decharges sauvages, on y trouvait des matelas tordus de moisissure, des carcasses rouillees, de tenaces legendes d’enfants disparus. Le pont est borde avec deux rambardes metalliques, aux barreaux serres qui permettaient tout juste d’y glisser le bras. Le dessus du garde-corps est plat, large de la quinzaine de centimetres. C’etait la qu’Ava voulait faire la roue, elle disait : « C’est bien plus large qu’une poutre, je sais faire la roue sur la poutre, alors je ferai la roue sur la rambarde du pont, quel est le probleme ? » Ava n’avait aucune maman, sa mere est morte, chuchotions-nous entre nous, vaguement transperces d’une pointe d’envie ainsi que respect etonne. Nous etions trop jeunes pour nous projeter dans le deuil de notre propre mere, Afin de compatir, d’ailleurs Ava ne semblait avoir besoin d’aucune pitie, c’etait une gamine fiere et intelligente, qui se trimballait toujours avec de gros bouquins qu’elle disait voler a le pere lorsqu’il dormait. Elle le droguait, racontait-elle, avec d’la racine d’ellebore qu’une sorciere lui avait donnee en echange de quelques gouttes de le sang dont la magicienne avait besoin pour ses potions. Elle s’emparait d’une cle une bibliotheque, que son pere gardait toujours sur lui, et descendait des escaliers avec une bougie pour s’eclairer. Nous gobions bien, la sorciere au fond du bois, la bougie, la bibliotheque interdite. Elle nous montrait le Quid de 1976, expliquant que dans votre livre on trouvait des reponses a l’integralite des questions, que c’etait Afin de ceci que son pere le gardait sous cle, pour ne pas qu’elle y decouvre le terrible secret d’la fond de sa propre mere. Plus grande, Ava piquait des chiques a l’epicerie, Plusieurs cigarettes. Elle est devenue la fille contre laquelle des meres nous mettaient en vais garder, craignant qu’elle ne nous entraine i  propos des chemins du vice, des mauvais resultats scolaires, des garcons embrasses devant tout le monde et des tours en mobylette trafiquee. Ava racontait qu’elle n’avait peur de rien, que, parce qu’elle n’avait gui?re eu de mere, elle etait invincible, qu’il ne pourrait jamais rien lui arriver. « Et au passage, 1 jour, je ferai la roue sur le pont de l’autoroute, ainsi, je ne tomberai pas. Vous verrez, c’est vous qui aurez peur en me voyant, mais gui?re moi. » Quand elle a eu quatorze annees, Ava a quitte l’Athenee Afin de suivre une formation de coiffeuse. Nous l’avons perdue de vue. Desormais, nous allions au cafe le vendredi soir avec les camarades de classe, nous discutions litterature ou philosophie, nous cherchions frenetiquement 1 equilibre entre mimetisme et revolte. A force de vouloir a tout prix nous singulariser, nous nous retrouvions dans les memes ornieres ideologiques, a nous devisager nos uns nos autres avec stupefaction, carres dans nos certitudes tel des poules sur un perchoir, poussant les amis Afin de avoir une place, mais incapables de nous passer de leur chaleur duveteuse. Nous buvions de l’alcool avec une gravite rituelle, elaborions notre propre langage, plusieurs que personne avant nous n’avait vecu aussi intensement, et ramenions des fi?tes l’odeur enivrante de la biere renversee, d’la clope et des deodorants bon marche. Nos dimanches etaient desormais consacres aux examens de maths ou de neerlandais, au classement du hit-parade et aux reunions familiales ou nous tentions de masquer a des grands-parents indulgents une gueule de bois. Nous croisions parfois Ava, au hasard tout d’un tour en ville, a Notre piscine, dans un magasin. Nos echanges avec elle etaient empreints d’une certaine gene, d’une solide humeur qui sonnait faux. Nous pensions a l’universite, caressions des projets tellement plus brillants que ceux de l’apprentie coiffeuse qui probablement se marierait, aurait une tralee de gosses, les cheveux crames via nos permanentes, et moisirait toute sa life dans ce trou perdu. Elle n’etait definitivement plus des notres. Un apres-midi d’ete, a Notre toute fin de l’annee scolaire, nous etions assis l’ensemble de ensemble a Notre terrasse d’un sirop.